Fleur elle a pleuré quand Achille est né.
Alex l'a emmenée à la foire et elle lui a rammené l'ours en peluche le plus moche possible.
Elle le déteste, elle veut pas être grande soeur, elle veut pas que sa maman reste une semaine à la clinique à cause de lui. Et loin d'elle.
Elle veut pas partager ses parents avec un moins que rien, un petit minus qu'ouvre à peine les yeux.
Elle sera plus la princesse.
Elle sera la première. Parce qu'à partir de maintenant y'aura un deuxième.
Et puis pendant quelque temps il va être le centre du monde. Celui sur lequel tous les regards se poseront.
Il va crouler sous un million de cadeaux qu'il pourra même pas ouvrir avec ses mains minuscules.
Ouais Achille c'est un minus.
Il est trop petit, il sait rien faire. Juste dormir, téter le sein de maman, dormir.
Il aurait mieux fait de rester au fond du ventre de maman, avec son cordon autour du cou, on aurait été tranquille.
Et Fleur qu'est-ce qu'elle va devenir dans tout ça ?
Hein ?
Au milieu des couches, des biberons, des areuh areuh et des ga ga ga ?

En me mettant à la place de Fleur, je réalise qu'avoir un petit frère ou une petite soeur en fait c'est horrible.
Je n'avais jamais eu ce point de vue là.
Jamais pensé à ce que ressentaient ceux qui réagissent très mal à l'arrivée de l'autre.
Moi quand ma soeur est née, j'étais heureuse.
J'en rêvais en fait.
Et même si c'est un vrai petit diable quand elle s'y met, je l'aime beaucoup.
C'est ma petite soeur quoi.
Et ça me paraissait évident.

Et puis tout d'un coup, je me prends les mots de Fleur en pleine figure.
Je me dis...
Ah oui.
C'est vrai.

Quand t'es un peu possessif, c'est l'horreur de voir un autre qui va tout diviser en deux.
Tes parents auront moins d'argent pour te gâter.
Ils devront acheter les couches. Les tétines.
Ils seront crevés de pas dormir la nuit et donc seront énervés, voudront plus jouer avec toi.
Ben non.
Et puis t'auras plus le droit de chanter comme une folle parce que bébé dormira.
Et puis pendant les moments rares où finalement tu le détestes pas tant que ça ce minuscule bout de chair rose, où tu dis que tu jouerais même bien avec lui, et ben il dort...
Et quand il se réveille, qu'il ouvre son bec immense et hurle pendant une demi-heure, l'envie de jouer avec lui te quitte d'un coup. Splatch. Plus rien.
Tu redeviens sans pitié.
Tu le détestes.
Tu voudrais qu'il s'étouffe.
T'aimes bien quand tes parents disent que tu montres l'exemple.
Regarde comme Fleur mange bien elle...
T'aimes bien quand il se fait disputer. Quand il se prend des fessées.
Une fois même tu l'as obligé à te mordre. Juste pour qu'il se fasse bien disputer.
Et puis au bout d'un moment il grandit.
Un jour il est invité chez un copain à jouer.
Bon il connaît pas la moitié des mots que toi tu connais, mais il a quand même des copains.
Et alors tu te retrouves chez toi. Seule avec tes parents. Comme avant. Tu redeviens soudain fille unique.
Pendant 20 minutes c'est jouissif, c'est l'extase. Et v'la que l'ennui te guette et te saute dessus.
Plus un cri.
Plus un gazouillis.
Plus de bras potelé à pincer.
Plus de petit ventre rond à chatouiller.
Plus de joues roses à embrasser.

Plus de joues roses à embrasser.

Et t'oublies d'un coup combien t'as pu le détester.
Combien de fois tu as pu, ô toi monstrueuse créature, souhaiter sa mort.

Mais pour l'instant Fleur pleure à chaudes larmes.
Fleur ne veut pas d'Achille.
Non non non.
C'est pas possible.
Pas possible que tout change comme ça en neuf mois.
C'était pas vrai, c'était une blague.
Mais alors qu'est-ce qu'elle fait à la clinique maman ?
C'est quoi ce truc rouge qui bouge, emmailloté dans de la laine bleue ?
Pourquoi maman et papa ils ont ce sourire débile ?

Nooooooooon.
Purée.
C'est foutu.
Il va me coller aux basques toute ma vie.